Réfléchissons un peu
A propos du prince Philip
En écoutant les différents hommages rendus au prince Philippe d'Angleterre, on entend toujours la même réflexion : en épousant la reine Elizabeth II, il a dû renoncer à son nom qu'il n'a pas pu donner à ses enfants, sa nationalité, sa carrière sans parler de sa religion. Je ne doute pas que ces sacrifices ont dû lui être pénibles. Mais il ne vient à personne l'idée de souligner que les sacrifices consentis par ce prince sont ceux auxquels ont consenti non seulement toutes les épouses de roi mais finalement toutes les femmes lorsqu'elles se mariaient. A son mariage, une femme prenait le nom et la nationalité de son mari, ne pouvait pas donner son nom à ses enfants et combien de femmes n'ont-elles pas sacrifié leur carrière pour élever leurs enfants et permettre celle de leur mari ? Pour citer un exemple : combien de femmes diplômées ayant épousé un médecin ne sont-elles pas devenues le conjoint aidant de leur époux ? Alors que la situation inverse pour peu qu'elle existe est sûrement exceptionnelle ! Et notre reine Mathilde, diplômée en logopédie et psychologie ne peut plus exercer sa profession...
Les princes consorts vivent en fait ce que les femmes ont vécu et vivent encore... et même s'ils sont princes ça n'a rien d'enviable !
Si la Covid19 était une voiture ...
- Dis, tu as oublié de mettre ta ceinture de sécurité ?
- Ah mais je ne la mets jamais, c’est pas confortable du tout, j’ai du mal à respirer avec et c’est dangereux une ceinture de sécurité. Je connais des gens qui ont été blessés parfois tués à cause de la ceinture de sécurité. Je suis libre, je ne suis pas un mouton qu’on peut attacher.. .
- Laisse-moi le volant, tu as bu trois verres de vin et tu es sûrement au-dessus du seuil autorisé d’alcoolémie.
- Je ne suis pas soul et je me contrôle très bien. Je me connais bien et je n’accepte pas qu’on me dise ce que je dois boire ou pas. C’est une atteinte à ma liberté.
- Attention, tu roules trop vite : la vitesse est limitée à 120km/h sur l’autoroute, tu es largement au-dessus.
- Et alors ? je gère. On limite la vitesse juste pour pouvoir se faire du fric sur le dos des conducteurs. Limiter la vitesse en voiture c’est une atteinte à la liberté de se déplacer. Je n’ai pas peur.
- Oui, mais tu as vu le panneau qui indiquait qu’il y a eu plusieurs accidents graves sur ce tronçon avec 200 morts rien que l’année dernière ?
- On fait dire ce qu’on veut aux chiffres, d’ailleurs on meurt beaucoup plus de cancers. Et puis tout ceux qui ont des accidents de voiture ne sont pas tués. Ces messages servent juste à contrôler les gens par la peur et nos dirigeants sont sûrement payés par les agences publicitaires qui fabriquent ces panneaux publicitaires.
- Tu ne devrais pas envoyer de SMS en conduisant, c’est dangereux.
- Mais arrête, tout ceux qui envoient des SMS au volant n’ont pas d’accident. Je ne suis pas un mouton, je t’ai dit, je ne veux pas qu’on porte atteinte à ma liberté de communiquer.
-
Faut-il vraiment dénigrer les moutons ?
Il est de bon ton pour dénigrer ceux qui respectent les règles de les comparer aux moutons, dont l'esprit grégaire est toujours vu de manière péjorative. Mais ceux qui trouvent les moutons si minables, savent-ils que les loups survivent aussi grâce à leur esprit de meute qui les pousse à accepter toute une hiérarchisation, encadrés par une stratégie adaptée à la préservation de l’espèce ? Le loup solitaire n'a de charme que dans les légendes et les croyances populaires, il est rarement seul par choix et ses chances de survie sont plutôt faibles. Cet esprit grégaire si vivement critiqué par certains esprits qui se croient forts n'est après tout que la manifestation d'un vrai sens social. L'instinct grégaire ne signifie pas l'obéissance aveugle et non critique mais au contraire : chaque membre du groupe réduit le danger pour lui-même et pour les autres en se rapprochant autant que possible du centre du groupe. Ainsi, le troupeau fait bloc commun face à un éventuel danger. Le comportement grégaire est ainsi supérieur au comportement non coordonné d'individus égoïstes
A moto un casque, dans les endroits publics un masque !
A propos du masque :
pour ceux qui craignent de s'infecter par d'autres microbes en le portant : il est important de préciser que mettre un masque nécessite d'avoir les mains propres. Donc lavage ou désinfection des mains avant de le mettre, avant de l'enlever et après l'avoir enlevé. Ne le manipulez qu'avec les élastiques ou les cordons, ne le touchez pas pendant que vous le portez (ne vous touchez pas d'ailleurs le visage quand vous n'avez pas de masques). Le masque doit être propre : les masques en tissus sont lavables, donc lavez-les sans qu'on soit obligé de prévoir des amendes pour ceux qui circuleraient avec un masque et des mains sales ! L'hygiène des mains reste une priorité !!! Et quand vous ôtez votre masque ou pour le transporter prévoyez un sachet en papier propre !
Pour ceux qui craignent de s'asphyxier en le portant : le masque n'est pas hermétique (à moins que vous ne portiez un masque en plastique dont les bords collent à la peau mais c'est une très mauvaise idée). Vous ne risquez pas plus de vous asphyxier avec un masque qu'avec l'écharpe dont vous vous couvrez le nez et la bouche en plein hiver. Porter un masque ne vous tuera pas, contrairement au virus qui lui pourrait le faire.
Pour ceux qui disent que la distance physique est suffisante : non, car elle est très difficile à respecter partout, donc ceinture et bretelle c'est plus sûr
Pour ceux qui disent que l'obligation vient tard et qu'elle ne sert plus à rien : non, le virus circule toujours (une petite centaine de nouveaux cas par jour quand même ce n'est pas rien), c'est comme un incendie dont on ne voit plus les flammes mais dont les braises sont encore actives et pourraient relancer les flammes. Donc c'est toujours utile, je dirais même plus que jamais.
Oui, c'est chaud et pas toujours confortable mais on s'y habitue et il vaut mieux le nez et la bouche confinés derrière un masque dans certaines circonstances que toute une population confinée !
Courage, vivre avec le virus ne signifie pas de faire comme s'il n'était pas là mais d'accepter certaines contraintes en attendant un vaccin (et là il faudra encore se battre contre tous ceux qui viendront dire que le vaccin est dangereux).
Je terminerai en disant que si toutes les mesures sont respectées : hygiène des mains, masque dans les endroits fréquentés, distance physique quand elle est possible, non seulement nous limiterons la covid 19 mais aussi la grippe saisonnière, les gastro-entérites et d'autres infections virales.
Un médecin généraliste peut-il se passer d'un dossier médical informatisé ? Non !
Après lecture d’un article du JdM du vendredi 17 février où j’apprends que des médecins envisagent d’arrêter de travailler parce que l’e-prescription devient obligatoire, j’aimerais réagir car certains arguments m’ont fait bondir.
L’interviewé cite l’âge de 8 médecins meurtris et découragés par l’obligation de s’informatiser . En ce qui concerne les plus âgés de 74 et 79 ans, je me dis qu’ils sont à l’âge de prendre une retraite bien méritée, de profiter de la vie qu’il leur reste à vivre en prenant soin d’eux, de leur famille, de leurs petits enfants. Personnellement, je ne m’accrocherai pas à la profession aussi longtemps car il y a une vie à côté de la médecine, à condition d’en sortir. Qu’ils profitent donc de cette obligation d’e-prescription pour raccrocher leur sthétoscope me semble de bonne guerre. Cela dit je connais des médecins du même âge qui suivent avec enthousiasme des formations au DMI. On peut s’instruire et changer sa manière de travailler à tout âge pour autant qu’on ait l’esprit ouvert. Je trouve triste par contre qu’un médecin de 45 ans se trouve trop vieux pour s’informatiser.
Un médecin généraliste (mais spécialiste aussi) qui refuse l’informatisation au XXIe siècle c’est, mutatis mutandis, la même chose qu’un médecin qui au début du XXe siècle aurait refusé d’installer le téléphone ou qui se serait obstiné à faire ses visites en tilbury tiré par un cheval parce qu’il refusait la voiture, ou plus tard quelqu’un qui aurait refusé la facilité du répondeur automatique ou du GSM par refus de virer son vieux téléphone fixe. Je suis d’accord pour dire que le téléphone, la voiture ou le GSM se sont imposés d’eux-mêmes sans que les ministres de la santé aient décidé d’obliger les médecins à passer leur permis de conduire. Cela me rappelle un de mes professeurs qui à l’université nous avait dit que le diplôme ne servait à rien pour un médecin généraliste s’il n’était assorti du permis de conduire. On ne va pas contre son temps.
Pour ma part, j’ai anticipé le mouvement d’informatisation il y a presqu’un quart de siècle. J’ai utilisé d’ailleurs au début un logiciel en version DOS, je me souviens que je recevais mes résultats de laboratoire sur disquettes, résultats que j’intégrais manuellement un par un. Quand j’y repense je me fais l’effet de quelqu’un qui en TGV se rappelle d’avoir encore circulé dans des trains à vapeur. En tant qu’utilisatrice d’un DMI, j’ai certes vécu des heurs et malheurs lors du passage de DOS à Windows par exemple, puis il y a eu des bugs multiples… mais au total je dois dire que je ne renoncerais pour rien au monde au plaisir du dossier informatisé, en dépit de tous les bugs techniques qui peuvent se rencontrer.
Je ne saurais plus me passer d’un DMI surtout quand je vois toutes les opportunités qu’il m’offre : le journal de toutes les consultations (la tête admirative des patients vus en garde ou lors de remplacement épisodique à qui je dis : oui, je vous ai vu à telle date et je vous ai prescrit tel médicament et vous m’aviez d’ailleurs signalé être allergique à tel ou tel produit.), les courbes évolutives des paramètres, la réception des résultats et rapports qui viennent s’intégrer directement dans le dossier et que je retrouve affichés dès l’ouverture, les demande de rappels de vaccination ou de dépistage, les interactions et les alertes lorsque je prescris un nouveau traitement, la possibilité de se connecter au départ du dossier sur le site du cbip par exemple pour retrouver un détail d’information, les certificats dont on a d’office le double (ne me dites pas que tous les médecins gardent un double de leurs certificats qu’ils font manuellement) et dont on peut sortir un duplicata, idem pour les soins de kiné, les soins infirmiers, les demandes d’examen ou les lettres de référence aux spécialistes. La tarification du tiers payant ne pose plus de problème, les ASD se forment à chaque clôture de consultation et avec le logiciel que j’utilise sans aucune manipulation technique particulière, juste un click pour l’enregistrer et je suis payée la semaine suivante, le pied, sans compter que connectée directement à mycarenet je sais tout de suite vérifier l’assurabilité du patient !! Et avec les documents Bf qui s’envoient en un click aussi, la paperasserie administrative se réduit considérablement. Le DMG électronique est aussi un avantage, plus besoin de le mendier au patient.
J’utilise l’e-prescription depuis le mois de janvier 2017 et je ne me suis jamais arrachée les cheveux à ce propos, la copie de prescription électronique sort aussi facilement que sortaient mes ordonnances imprimées et lorsque recip-e coince, une ordonnance ordinaire sort sans plus de problème. Le gros problème c’est évidemment au domicile : la nécessité d’une preuve papier de la prescription électronique est la pierre d’achoppement. Il faut effectivement un pc, une connexion internet wifi, une imprimante… ça devient lourd. J’espère que viendra le jour où l’on pourra disposer d’une application nous permettant de prescrire au départ d’un iphone avec envoi de la dite preuve sous forme de document pdf que le pharmacien pourrait scanner sur son ordinateur. Bref une application de prescription utilisable indépendamment du logiciel. Mais de toute façon, les problèmes techniques temporaires ou permanents étant une cause valable de non prescription électronique, l’obstacle de la e-prescription au domicile n’en est pas vraiment un.
Non, contrairement à que mon confrère dit dans l’article du JdM, le DMI est bien plus qu’un outil de mémorisation, c’est un outil de travail complet et d’un apport certain pour notre profession.
Et en dépit de ce que l’on peut penser, non, je ne passe pas plus de temps à m’occuper de mon pc que de mon patient. Je dirais même au contraire car je gagne un temps précieux. Je prends toujours autant le temps d’écouter, d’examiner, de réfléchir.
En ce qui concerne l’argument de dire que le courrier papier on est obligé d’ouvrir l’enveloppe et de les lire avant de les classer, on peut tout aussi bien classer le courrier sans le lire… et le courrier électronique devant être téléchargé, on prend aussi le temps de le lire, rassurez-vous !
Pour le confrère qui estime qu’à 60 ans :commencer à informatiser à partir de zéro ses dossiers est une mission impossible en évoquant les milliers de dossiers, je répondrai qu’il pose mal le problème. Tout d’abord dans la mesure où effectivement nous ne voyons pas 5000 patients différents par an mais 500 patients différents 10 fois par an, le problème se résout en encodant les patients un à un lorsqu’ils se présentent en consultation. Je pense que tous ceux qui se sont informatisés ont procédé de la sorte, un pas à la fois.
Bref que l’on soit contre l’obligation du DMI je peux le concevoir mais que l’on dénigre par des arguments fallacieux l’apport du DMI dans la vie du généraliste, voilà une chose que je ne pouvais laisser passer sans réagir. Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain.
(Elide Montesi, généraliste à Sambreville)courrier publié dans le Journal du médecin du 24 février 2017
A propos de "l'art de guérir"
Féminin singulier (texte d'une conférence donnée au salon du livre Elles se livrent à Braine l'Alleud le 7 mars 2015)
Il y a quelques années, alors que je dirigeais une revue médicale , j’y avais publié un éditorial concernant la condition des femmes médecins en réaction à des propos que j’avais jugés particulièrement machiste de la part d’un de mes collaborateurs. Un autre membre de mon équipe s’était empressé de me rapporter que sa stagiaire de l’époque avait trouvé cet éditorial « trop féministe » et que mon féminisme exagéré ne se justifiait paraît-il plus. Je m’étais dit alors que cette stagiaire ignorait que moins de cent ans plus tôt elle n’aurait pu s’inscrire à l’UCL où elle était en train d’étudier, les femmes n’ayant été admises à l’UCL qu’après la Première Guerre Mondiale et que les autres facultés belges de médecine n’avaient ouvert leur porte aux femmes qu’à la fin du XIXe siècle. Cette stagiaire ignorait, tout comme bon nombre de mes confrères, le combat qu’avaient mené les femmes pour qu’elle trouve tellement naturel d’étudier la médecine. Cela m’avait donné l’idée de rédiger une série d’articles racontant la vie et les difficultés des premières femmes qui avaient voulu pratiquer la médecine mais aussi ce qu'elles avaient apporté au monde médical.
Ce sont ces articles qui sont rassemblés dans mon tout premier livre Les filles d’Hippocrate, avec en guise d’introduction le texte de l’éditorial soi-disant « trop féministe ».
On ne sera jamais trop féministe tant que les femmes n’auront pas acquis partout dans le monde le droit de ne pas être assujetties aux hommes, le droit d’étudier, d’exercer toutes les professions sans discrimination, de penser, d’être soignées correctement, de ne pas être les premières victimes de la violence masculine et parfois même tout simplement le droit de vivre. On ne sera jamais trop féministe tant qu’être une femme est considéré comme une condition singulière voire étrange qui justifierait qu’elle ne puisse bénéficier des mêmes droits que les hommes.
On ne sera jamais trop féministe tant que l’accès des femmes à une catégorie professionnelle sera considérée comme problématique. Et ceux qui croient que la place des femmes en médecine est une chose définitivement admise se trompent. Les patients ne trouvent plus anormal d’être soignés par une femme médecin, c’est bien. Mais leur présence de plus en plus importante dans le monde médical dérange encore un certain nombre d’hommes médecins. Je me souviens d’un séminaire où étaient abordés les problèmes de la médecine générale, l’animateur a cité, dans la liste des problèmes, la féminisation de la médecine. Nous avons été quelques-unes dans la salle à éclater de rire en disant que ce n’en était pas un pour nous. Mais c’est toujours un problème pour les hommes. Cette semaine, un ami gynécologue me faisait remarquer : « Non mais tu te rends compte ? Sur les 7 assistants que compte le service d’obstétrique, il n’y a qu’un seul homme, c’est incroyable, cette féminisation à outrance » Il fut pourtant un temps où parmi les assistants du service, il n’y avait pas une seule femme, sans que personne ne trouve cela étrange. (en guise de réponse, je lui ai proposé de lire mon livre…)
Les arguments et les préjugés que l’on opposait aux femmes qui voulaient devenir médecins au XIXe siècle sont toujours bien présents comme j’ai pu le constater en lisant l’introduction d’ un symposium consacré à la féminisation de médecin organisé par le conseil national de l’ordre des médecins français en 2003.
Pour être médecins, nos consoeurs n'en sont pas moins femmes, ce qui est heureux pour nous, mais qui n'est pas sans poser des problèmes spécifiques. Il leur faut souvent assurer à la fois les exigences d'un métier astreignant et leur rôle d'épouse et de mère de famille.
Epouse et mère : rien à faire on n’y échappe pas.
Mais pourquoi souligne-t-on toujours la difficulté d’assurer le rôle d’épouse et de mère de famille lorsqu’il s’agit d’ une femme médecin (ou pour toute femme qui travaille) alors qu’on ne parle jamais de la même difficulté d’assurer ces rôles pour un homme qui travaille ? Etre époux et père est-ce donc accessoire pour un homme.
Autre phrase édifiante, de ce texte daté, je le rappelle, de 2003 :
Dans une société qui leur reconnaît aujourd'hui encore un rôle essentiel dans l'accomplissement des tâches ménagères et l'éducation des enfants, les femmes restent largement soumises à des contraintes de temps et de disponibilité, lesquelles sont parfois difficilement compatibles avec les exigences de l'exercice médical.
Vous pouvez faire ce que vous voulez mesdames à condition de vous rappeler votre rôle essentiel : les tâches ménagères et les enfants : deux parmi les trois K : Kindern, Küchen (heureusement on veut bien nous supprimer Kirchen bienfait de la laïcité) sont difficilement compatibles avec la pratique de la médecine. Mais qui a décidé que nous avions un rôle essentiel dans l’accomplissement des tâches ménagères et l’éducation des enfants sinon les hommes ? Et si on laissait les femmes décider du rôle essentiel qu’elles veulent jouer dans la société ? Et si la solution était simplement dans un partage équitable de ces tâches (comme cela se voit de plus en plus d’ailleurs) ? Le problème n’est pas la féminisation d’un domaine quel qu’il soit mais plutôt le fait que l’on veut encore aujourd’hui nous assigner un rôle qui nous limite à la sphère privée !!
Nous vivons toujours dans un monde masculin où l’être féminin apparaît comme un élément singulier dont la présence dérange et le comportement inquiète dès lors qu’il ne ressemble pas à ce qu’on attend de lui.
Mais le monde des lettres me semblait être un domaine qui ne leur avait pas été fermé comme la médecine, le droit, la politique. Les écrivaines ou poétesses ne datent pas d’hier. En fait, j’avoue que je me trompais…
L’historienne et philosophe Mona Ozouf écrit dans Mots de femmes : « Faire imprimer un ouvrage, c’est croire ses pensées dignes de la postérité et de la publicité. On pardonne à un homme cette présomption. Mais à une femme ? »
En cherchant à me souvenir de ces femmes assez présomptueuses pour croire leurs pensées dignes de passer à la postérité, auteures, romancières, poétesses, je dois bien reconnaître qu’elles sont loin d’avoir bénéficié de la même considération que leurs confrères masculins. Tout d’abord jusqu’au XXe siècle, elles sont moins nombreuses que les hommes. Pour devenir écrivain ou écrivaine, il faut avoir appris à écrire et à lire. Or, l’instruction a longtemps été une prérogative masculine et pour les femmes, avant que l’école ne soit obligatoire pour tous garçons et filles, ce privilège n’était réservé justement qu’à des privilégiées, issues de la noblesse ou de la haute bourgeoisie. Ensuite un bon nombre sont passées aux oubliettes de l’histoire. C’est le cas pour presque toutes celles de l’antiquité. Des œuvres des poétesses grecques, comme Myrtis, Erinna, Praxilla, Nossis ou la célèbre Sappho de Lesbos, ne subsistent que des fragment dont existent actuellement des compilations. « J’écris mes vers avec du vent … » écrivait très justement Sappho. Les femmes romaines étaient certes totalement soumises à l’autorité de leur père et de leur mari mais les plus riches étaient instruites et participaient à la vie culturelle. Juvénal par exemple manifestera son inquiétude de voir les femmes infiltrer des domaines qu’il jugeait réservés aux hommes comme la littérature! Un Almanach des Dames édité à la fin du XVIIIe siècle cite toute une liste de poétesses de l’antiquité romaine : Cornificia, Faltonia, ou encore Sulpicia, surnommée la Sapho romaine. Mais nulle trace de leurs écrits n’est parvenue jusqu’à nous. Comment expliquer que l’œuvre d’Homère ou celle de Virgile a traversé les siècles dans leur version intégrale et pas celle de ces femmes ?
Le Moyen Age, qui est loin d’être une période aussi obscure qu’on veut nous le faire croire, a eu des femmes de lettres célèbres, mais elles étaient religieuses, reines ou elles bénéficiaient de la protection de personnes haut placées. Comme la chanoinesse Hrotsvitha de Gandersheim, au Xe siècle poétesse et dramaturge. Ses œuvres théâtrales ont été redécouvertes au XVe siècle et puis rééditées au XIXe siècle pour les théâtres de marionnette. Depuis 1973, la ville de Bad Gandersheim, en Allemagne décerne tous les ans un prix Hrotsvita à une femme de lettre. Ou encore Hildegarde Von Bingen une autre religieuse du XIe siècle, tout à la fois femme de lettres peintre, musicienne et compositrice, elle pratiquait aussi l’art de guérir et parmi ses écrits on trouve aussi des ouvrages scientifiques. En 2012, Benoît XVI l’intronise Docteur de l’Eglise, privilège rare, elles ne sont que quatre à avoir eu cette reconnaissance. L’histoire de la littérature française retient les noms de Marie de France ou Marguerite de Navarre, Pernette du Guillet ou aussi de Christine de Pisan qui au XIVe siècle, pour subvenir à ses besoins en restant indépendante alors qu’elle était veuve (être veuve rendait les femmes libres et respectables), réussit à vivre de sa plume en proposant ses poèmes à de riches et puissants mécènes. Elle fut la protégée d’Isabeau de Bavière. A côté de ses œuvres lyriques, elle a rédigé des essais philosophiques, des traités de morale, de politique, de religion et même un traité d’art militaire ! Féministe avant la lettre, elle osa publier le Dit de la Rose qui dénonçait des passages qu’elle jugeait insultant pour les femmes dans le Roman de la rose. J’aime au XVIe siècle, Louise Labé, une poétesse, citée aussi comme la Sappho de la Renaissance, et dont s’est inspiré La Fontaine, a osé revendiquer pour la femme, dans un de ses essais, l’indépendance de pensée, le droit à l’éducation et la liberté de parole amoureuse. Cette dernière revendication lui valut auprès de certains la réputation de courtisane d’autant qu’elle a eu des amants et reconnaissait préférer les arts et l’équitation aux occupations ménagères. Peut-on lui donner tort ? J’ai envie de dire que Louise n’était ni pute ni soumise.
Au XVIIe siècle, en France, naissent les salons littéraires animés par des femmes qui en plus écrivent. Molière s’ est bien moqué de ces femmes dans certaines de ses œuvres : les Précieuses ridicules ou Les femmes savantes. Pourtant, loin d’être ridicules, ces femmes cultivées, du fond de leurs ruelles où elles tenaient salon, ont beaucoup apporté à la langue française en simplifiant par exemple l’orthographe ou en modernisant les bases du roman. Par les débats qu’elles animaient, elles ont aussi participé à l’éclosion des Lumières.
La journée internationale de la femme, impossible de ne pas évoquer : Olympe de Gouges, connue pour avoir participé à la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne prônait pour les femmes le droit de monter à la tribune puisqu’elles avaient celui de monter à l’échafaud. Elle finit sur l’échafaud parce qu’elle osa dénoncer la dérive sanglante de la Révolution française. C’était une auteure prolifique qui en plus des ses nombreux écrits politiques avait rédigé plusieurs pièces de théâtre qu’elle faisait jouer par sa propre troupe. Veuve, ce qui lui assurait une liberté de publication alors que la loi voulait que les femmes mariées demandent l’autorisation de leur mari pour publier leurs écrits, elle menait une vie libre et fut aussi accusée d’être une courtisane. Celle que certaines voudraient maintenant voir au Panthéon, a été souvent dénigrée et ses œuvres jugées sans grand talent. J’ai lu à son propos qu’elle était « plus agitatrice d’idées que véritable écrivain ». Mais un véritable écrivain n’est-il pas censé être un agitateur d’idées ?
Autre agitatrice d’idées de la même époque mais dont on ne peut nier le talent, Madame de Stael encouragée par sa mère qui, paraît-il, aurait voulu écrire mais en fut empêchée par son mari. Elle dénonçait dans ses romans et ses essais, les misères de la condition féminine et à défaut de pouvoir participer à la vie politique a publié ses idées sur la question. Elle agitait d’ailleurs des idées que Napoléon, qui pourtant reconnaissait le talent de la dame, n’apprécia pas vraiment et elle dut s’exiler.
J’ai envie de citer Madame de Genlis. Cette écrivaine à la fin de sa vie réussit à vivre des droits d’auteur de ses publications lorsque la pension qui lui avait été allouée par Napoléon, pour lequel elle joua le rôle d’espionne, lui fut ôtée à la Restauration. Félicité de Genlis décrit très bien ce qui attend les femmes auteurs. « Si vous écrivez, vous sortirez de votre classe et n’entrerez pas dans la leur. (…) Toutes connaissent le prix que doit payer à la société la femme auteur : la marginalité, le ridicule, le manque d’amour, l’affrontement direct et violent avec le monde masculin » Cela ne se limite pas aux seules femmes auteurs.
Madame de Stael avait déjà résumé cela de manière élégante : Pour une femme, la gloire est le deuil éclatant du bonheur.
L’idéal de liberté et d’égalité lancé par la révolution française ne s’est pas appliqué aux femmes. Le XIXe siècle n’a pas été une période plus facile pour les femmes écrivains que pour les autres. Il leur fallait de nombreux appuis masculins et une certaine renommée sociale pour rentrer en contact avec les milieux intellectuels afin de pouvoir être publiées. Les éditeurs étaient des hommes. Publier l’œuvre des femmes c’était accepter de les voir échapper à la sphère privée où l’on entendait bien qu’elles restent (et d’où certains regrettent encore qu’elles soient sorties). Certains y voyaient le risque de dévaloriser tout simplement la littérature, la grande, la vraie, celle des hommes, dont il n’est pas besoin de préciser qu’elle est masculine. C’est d’ailleurs la crainte émise aussi dans d’autres professions dont la médecine.
Mais cela bien sûr n’empêchera pas les plus audacieuses, de se lancer dans l’aventure, quitte à se conduire de manière singulière.
Un stratagème adopté par plusieurs femmes dans plusieurs pays fut de se faire éditer sous un nom d’homme. Voilà qui permettait de rentrer en douce dans la cour des grands. C’est le cas célèbre d’Aurore Dupin, baronne de Dudevant qui publie d’abord ses livres sous le nom de son amant Jules Sandeau avant de se rebaptiser Georges Sand. Mais elle n’est pas la seule, en Angleterre, les sœurs Brontë ont recourt aux surnoms de Curris, Ellis et Acton Bell pour donner à connaître leurs œuvres . « Les femmes, écrit Charlotte Brontë, souffrent d'une contrainte trop rigide, (…) comme en souffriraient les hommes; et c'est étroitesse d'esprit chez leurs compagnons plus privilégiés que de déclarer qu'elles doivent se borner à faire des puddings, à tricoter des bas, à jouer du piano, à broder des sacs. Il est léger de les blâmer, de les railler, lorsqu'elles cherchent à étendre leur champ d'action ou à s'instruire plus que la coutume ne l'a jugé nécessaire à leur sexe. » En voilà encore une qui n’acceptait pas le rôle traditionnel et essentiel de la femme.
Tout cela, c’est heureusement du passé. Les femmes quelles que soient leurs origines sociales sont de plus en plus nombreuses à écrire et publier sans devoir demander l’autorisation de leur père, de leur frère ou de leur mari (du moins dans les pays dits démocratiques). Elles ont tout d’abord acquis le droit à l’instruction. Et puis l’invention des électroménagers a permis de délivrer les femmes du carcan des tâches domestiques (dont je vous rappelle qu’elles font partie de nos obligations sociales essentielles selon les propos tenus par l’ordre des médecins français) leur libérant ainsi du temps pour des activités plus épanouissantes comme l’écriture. Sans parler de la contraception et de l’IVG
Mais les femmes auteurs ont-elles vraiment toute la reconnaissance à laquelle elles ont droit ? Rien n’est moins sûr. La comparaison s’impose avec les femmes médecins, à qui après avoir obtenu le droit d’étudier la médecine, il reste à conquérir les sommets de la hiérarchie.
L’ Académie française fondée en 1635 n’accepte les femmes en son sein que depuis 1980 : Marguerite Yourcenar est la première à en avoir occupé un fauteuil et depuis elles ne sont que huit à avoir pu accéder à cet honneur, dont seulement 5 écrivaines. Le prix Nobel de littérature n’a été attribué qu’à une douzaine de femmes depuis qu’il existe (en 1901) dont six au cours des 20 dernières années.
Les membres du jury du prix Goncourt sont encore en majorité masculins et seulement deux femmes dont la célèbre Colette en ont été présidentes jusqu’à présent. Depuis la date de sa création, en 1902, on a encore assez des doigts des deux mains pour compter celles à qui on l’a attribué. Le Prix Femina dont le jury est exclusivement féminin a été créé en 1904 pour pouvoir donner des prix aux femmes écrivains,. Fait remarquable, le jury tout féminin du prix Femina accorde depuis le début de son existence, sans discrimination aucune, sa distinction aux auteurs des deux sexes. Les femmes sont singulièrement tolérantes.
Bref, il reste encore du chemin à parcourir pour une vraie reconnaissance des femmes de lettres. Ce salon littéraire me semble donc, quoique j’aie pu en laisser penser au début de cet exposé, une manifestation de reconnaissance et une mise en valeur tout à fait bienvenues.
Et j’ai envie de terminer par cette citation qui serait de Stendhal
"L'admission des femmes à l'égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation, et elle doublerait les forces intellectuelles du genre humain."
"Show me some respect"
« La mode est au respect. Il y a des campagnes à la radio pour le respect, de la publicité pour le respect, des tracts dans les écoles qui n’appellent pas à la grève mais au respect. Respect, respect, tout doit être respecté et ça ne doit pas être contesté. Mais il me semble que tout doit être contesté, dans le sens que rien ne doit être accepté sans examen. Enfant, j’étais indigné quand un adulte disait : « Tu dois me respecter ». Cela signifiait : « Ne cherche pas à comprendre, obéis et c’est tout ! ». La définition même de l’arbitraire. Le plus grand drame de la vie vient du fait que les adultes ont oublié combien ils ont souffert enfants. Le respect est le commencement de la mort. Quand on respecte quelqu’un on ne l’aime plus. Quand on respecte une œuvre d’art, on ne la regarde plus. On l’admire, on la vénère, elle devient un objet religieux. L’esprit ne peut plus la juger et le cœur doit se taire. Les hommes et les œuvres d’art n’ont pas besoin de respect. Ils ont besoin d’éducation, de déférence, d’amour, de passion, de colère, d’enthousiasme, ils ont besoin d’être vivants, mais sûrement pas de respect.
Le respect est le mot magique des hommes d’ordre ou des hommes de désordre à savoir de ceux qui rêvent de faire de leur désordre le nouvel ordre.
Respect est le mot de la police mais aussi le mot des loubards de banlieue, respect est le mot des mafieux, c’est le mot que l’on entend le plus dans le film Le parrain ou les Soprano. « Show me some respect » crie l’homme qui en a frappé un, égorgé un deuxième et violé la dernière. Le respect est la chose qui s’oppose le plus à la liberté. Le respect c’est la mort. (d’après Charles Dantzig, Encyclopédie du tout et du rien)
Le droit au faux départ
Fin juin, les résultats de nos têtes blondes petites et grandes tombent. Bonheur ou déception... on les félicite, on se congratule, on partage sur les réseaux sociaux. Certes, c'est important, de ces résultats scolaires dépend l'avenir de nos enfants. Mais lorsque je lis qu'un enfant de 13 ans s'est suicidé parce qu'il a raté sa première secondaire, je ne peux que m'interroger sur le fait que l'on conditionne nos enfants à réussir, et que l'on dramatise peut-être à outrance l'échec alors que ce dernier a aussi une valeur positive. Apprendre à rebondir au départ d'un échec doit faire aussi partie des apprentissages. Sans le minimiser, il est toutefois important de le relativiser ... certains enfants ont besoin de plus de temps que d'autres pour digérer une matière, pour acquérir la maturité qui leur permettra de trouver leur voie. L'école n'est pas tout, l'intelligence ne consiste pas qu'à obtenir de beaux résultats scolaires et dans toute vie, il y a des hauts et des bas. Je suis fière des résultats et des diplômes de mes enfants mais admire d'autant plus ces résultats qu'ils ont su surmonter les échecs, se relever après la chute, On est à l'école et pas en sport : les enfants ont droit à des faux départs !
La meilleure et la pire des choses : les réseaux sociaux
Je fréquente plusieurs réseaux sociaux, Equilibriarte, Facebook, Arts et lettres et même un réseau social plus intime réservé uniquement aux membres de la famille. Le tout premier a été celui d'equilibriarte, découvert en 2006, créé par un artiste uniquement pour des artistes. J'y publie mes oeuvres, j'y ai mon blog, de nombreux contacts dont certains sont devenus des vrais amis bien que virtuels, à qui j'ai déjà acheté des oeuvres pour ma collection personnelle et avec qui j'ai échangé mes oeuvres. Cela me permet d'ailleurs d'entretenir la pratique de l'italien. Par contre j'ai mis un certain temps avant d'adhérer à facebook. Mais au contraire du réseau d'equilibriarte ou d'arts et lettres dont je n'ai jamais rencontré personnellement aucun membre, sur facebook, les deux tiers de mes contacts sont des connaissances ou des amis que je fréquente même en dehors du web : des cousins italiens avec lesquels je n'aurais autrement aucun contact, des amis que je connais depuis longtemps, déjà rencontrés sur des forums de discussion sur internet, de vieilles copines d'école que j'avais perdues de vue, des anciens condisciples des cours de musique ou d'art dramatique, les membres de la chorale ou de société musicale dont mon mari et moi faisons partie, des journalistes avec lesquelles j'ai collaboré un temps, des artistes avec lesquels j'expose, et même quelques uns que je ne connaissais pas personnellement mais avec lesquels je me suis découvert des affinités. Ces réseaux sociaux peuvent être la meilleure et la pire des choses, le tout étant de les utiliser judicieusement .... mais bien utilisés, on ne peut nier qu'ils sont une ouverture sur le monde, à condition d'en sortir (pas du monde mais des réseaux pour rencontrer le monde justement !
Eloge de la virilité ... et de l'altérité (par Natacha Polony)
Eloge de la virilité(…)Ces lignes, messieurs, vous sont donc dédiées. Elles sont un hommage à tout ce que peut être un homme. Elles sont un hommage à la virilité, cette qualité tant décriée, et qui n’est rien d’autre que la confiance qu’un homme peut avoir dans son appartenance à son sexe. Une sorte de certitude rassurante car sereine. Et si rien n’est plus difficile à définir que cette appartenance, que chacun développe à son gré, elle est le miroir dans lequel les femmes se contemplent avec volupté. La virilité est une forme de confiance, de force tranquille ; ce qui signifie que l’époque actuelle, dans sa volonté de criminaliser toute résurgence du patriarcat honni, a rompu le charme et fait des hommes des êtres en doute perpétuel.Pas question pour autant de regretter le temps où « être un homme » semblait avoir un sens immédiat qu’il n’était même pas nécessaire d’interroger. Car la notion n’était pas moins problématique. Elle relevait, non de la confiance, mais de l’injonction. Considérons l’actuelle remise en cause comme une occasion de dissiper le vieux malentendu : vous n’êtes pas, messieurs, d’affreuses brutes épaisses qu’il faut réprimer ou contrôler. La violence n’est pas une fatalité masculine. Et en vous construisant face aux femmes, vous apprendrez peut-être que votre grandeur est d’investir votre force et votre audace dans la défense et le respect de l’autre, de la femme ; et non dans la peur et le rejet, ou bien au contraire dans l’indifférenciation. J’ai moi-même choisi, je le confesse, de vivre avec un spécimen en voie de disparition, un de ces authentiques machos que la modernité féministe voue aux gémonies et condamne aux oubliettes de l’histoire. Un être qui ne repasse pas ses chemises, qui paie l’addition au restaurant et propose de m’accompagner dès que je fais un pas dehors, de peur qu’il ne m’arrive quelque chose. Un être qui pique des colères noires et veut toujours avoir raison, et qui fait tout à ma place parce qu’il estime que, par principe, il le fait mieux que moi. Un homme, dans toute son horreur. Un homme, sensuel et râleur, si différent de ce que je peux être et si proche de ce en quoi je crois. Un homme dans le regard duquel je lis que je suis une femme.Je l’avoue, j’aime l’altérité. J’aime cette différence essentielle qui fait que lui et moi sommes humains sans être semblables. J’aime ces jeux de domination qui nous font nous provoquer et nous affronter, chacun cédant tour à tour devant l’autre, chacun confrontant ce qu’il est à l’inconnu de l’autre. J’aime enfin découvrir à travers notre altérité ce qui nous unit et nous rend l’un à l’autre indispensables. Rien n’est plus destructeur du désir que l’abolition des frontières, le lissage minutieux des aspérités au nom de notre incapacité millénaire à penser la dualité. Messieurs, ne soyez pas dupes des injonctions contradictoires des femmes. Elles vous parlent d’égalité, de partage des tâches, elles se veulent libres et indépendantes. Et c’est en effet ce dont elles ont besoin. Comme elles ont besoin de cette figure rassurante de l’homme protecteur, autoritaire, assumant ses devoirs et symbolisant la loi ; l’homme qu’on vous a sommés de ne plus être. Ne soyez pas dupes des discours ambiants qui vous intiment l’ordre de vous renier au nom du métissage du féminin et du masculin dont on veut vous faire croire qu’il constitue le stade ultime de l’humanité, comme la seule chance d’abolition des souffrances de tant de femmes. Il n’est sans doute pas de pire ennui pour une femme que de se trouver face à cet homme insipide et morne qui a si bien appris sa leçon de féminisme et demande respectueusement l’autorisation pour tenter quelque trace de séduction , cet homme un peu ridicule qui use de crèmes antirides et d’autobronzant, cet homme pathétique qui n’éprouve pas le besoin de se lever pour une femme enceinte ou d’offrir sa veste à une belle en robe légère. Car quel geste plus beau que cet enveloppement tendre et puissant de celui qui dépose sur des épaules un peu de chaleur et de protection ? Et j’adresse ces lignes à mon fils, aujourd’hui si petit, à peine sorti du statut de l’ange, comme un message d’amour et d’espoir. Puisse-t-il à son tour être fier d’être un homme. Un homme, c’est-à-dire un être imprégné des valeurs chevaleresques qui ont fondé la civilisation occidentale. Un homme, c’est-à-dire un être jouant à être le plus fort pour mieux servir, pour mieux protéger, car telle est la vraie grandeur (que les femmes devraient également cultiver), celle qui consiste à ne jamais abuser de son pouvoir. Un homme, sûr de ce qu’il veut être et se promenant dans les modèles anciens et les grandes figures. Même s’il garde à l’esprit que tout cela n’est qu’une fiction, et qu’il ne doit pas être prisonnier des codes mais se les approprier, pour mieux parfois les renverser.Puisse-t-il apprendre à regarder les femmes dans leur complexité, leurs contradictions et leurs incertitudes. Puisse-t-il les aimer fières et fragiles, pudiques et passionnées, telles qu’elles seraient si notre triste époque ne leur enseignait l’infantile niaiserie qui les empoisonne, et que les bons génies du marketing tentent à tout prix d’inoculer aux hommes. Et en puisant dans la mémoire aujourd’hui délaissée de l’Occident, en s’en retournant aux racines d’une civilisation qui, peut-être plus qu’aucune autre, même si c’est bien imparfaitement, a su marier féminin et masculin, il découvrira que les vertus chevaleresques portées par nos vieux récits sont ce qu’il a de plus grand et de plus respectueux à offrir aux femmes.
Petit homme futur, apprends à marcher dans la vie, te composant et te recomposant au gré de tes rencontres et de tes expériences, au gré des livres et des êtres que tu croiseras. Et quelle que soit la façon dont tu choisisses d’entendre ces mots, tu seras un homme, mon fils. Mais pour cela, tâche tout simplement et pleinement, à travers tes valeurs et ta morale, de devenir un Homme.
Extrait de L’homme est l’avenir de la femme. Natacha Polony. JC Lattès, 2008, pp. 244-247