Réflexions autour de l'art
Artiste, artisan, ouvrier
"Celui travaille avec ses mains est un ouvrier, celui qui travaille avec ses mains et sa tête est un artisan et celui qui travaille avec ses mains, sa tête et son coeur est un artiste" aurait dit François d'Assises.
Je ne sais pas si Saint François d'Assise a vraiment dit cette phrase qui est quand même dénigrante pour les artisans et les ouvriers.
Les ouvriers travaillent aussi avec leur tête et leur coeur et les artisans mettent aussi du coeur à l'ouvrage en plus de leur technique.
Ensuite à l'époque de Saint François, on ne faisait pas encore de distinction si nette entre artisan et artiste.
La notion d'art depuis l'antiquité est simplement liée à un savoir faire.Cette distinction artisan-artiste est une notion relativement récente, et pas encore vraiment claire. La différence entre un artisan et un artiste tient dans le fait que l'artisan fabrique des objets utiles et utilitaires. Mais ces objets utilitaires peuvent être tellement beaux qu'il est difficile de ne pas les considérer comme de vraies oeuvres d'art. Un artiste selon notre définition actuelle crée des oeuvres qui ne sont pas "utilisables" au sens propre du terme et ds la mesure où elles sont utilisées à des fins décoratives, elles sont aussi des biens de consommation. Un palais est un objet utilitaire mais est aussi une oeuvre d'art.
La sagesse de Renoir
Un belle oeuvre d’art ne nécessite aucun commentaire. Ce n’est pas moi qui l’affirme mais Renoir qui considérait la peinture comme un travail manuel. « Peindre ce n’est pas rêvasser. C’est avant tout un travail manuel à réaliser comme un bon ouvrier”. Renoir fuyait les discussions esthétiques « J’ai toujours eu horreur de ce genre de bavardage ». Renoir aimait la simplicité. Il aimait la vie et l’exprimait à travers sa peinture. “Ne me demandez pas si la peinture doit être objective ou subjective, je vous répondrai que je m’en fous. Je suis toujours étonné quand de jeunes peintres viennent me trouver pour me demander les objectifs de la peinture. Il y en a qui viennent me demander ou m’expliquer les raisons qui m’ont poussé à choisir du rouge ou du bleu à telle ou telle place de mes peintures. Notre métier est complexe et difficile et je peux comprendre les inquiétudes. Mais un peu de simplicité et de candeur est nécessaire ». Renoir peint sans avoir besoin d’analyser ce qu’il fait. « C’est dans les musées que l’on apprend à peindre, dit encore Renoir. Quand je dis d’aller apprendre à peindre au Louvres, je n’entends pas par là que l’on doive aller chercher des trucs pour recommencer Rubens ou Raphael. Il faut faire la peinture de notre temps. Mais c’est là dans les musées que l’on développe l’amour de la peinture que la nature seule ne peut donner. On ne dit pas Je serai peintre devant un beau paysage mais devant une belle peinture » « Les peintres se croient des êtres extraordinaires, critiquait aussi Renoir, ils s’imaginent qu’en mettant du bleu à la place du noir, ils changeront la face du monde. Pour ma part, je n’ai pas la prétention d’être un révolutionnaire. J’ai toujours pensé et je pense encore que je continue seulement à faire ce que les autres ont fait avant moi beaucoup mieux que moi »
Salut l'artiste ?
Il arrive que des patients me demandent de qui sont les toiles exposées sur les murs de mon bureau. Et apprenant qu’il s’agit de mes propres œuvres, certains réagissent par un : « Oh, vous êtes une artiste ! » Derrière cette exclamation, loin d’y sentir de l’admiration, je perçois souvent de l’angoisse. Peut-on placer sa santé et donc sa vie entre les mains d’une artiste ? Ils ont une telle réputation les artistes, ces personnes un peu étranges vivant dans leur monde décalé de la réalité … Tout cela a l’air si éloigné du rôle scientifique que doit remplir un médecin..
Mais au fond, suis-je vraiment une artiste ?
J’aime peindre … cela fait-il de moi un peintre ?
J’aime jouer de la musique … suis-je vraiment musiciennes ?
J’aime écrire … suis-je écrivain pour autant ?
Et les quelques vers qui jaillissent parfois de mon imagination font-ils de moi un poète ?
Est-on artiste parce que l’on pratique une activité artistique ?
Je n’ose pas me définir « artiste »… parce que je publie peu ce que je peins ou ce que j’écris … parce que je ne vis d’aucune de ces formes d’art que je pratique en dilettante ou en amateur… Ces mots me plaisent : dilettante parce que je pratique ces activités pour le plaisir et si ça ne me plaisait pas, je ne le ferais pas ; amateur : personne qui apprécie quelque chose, le recherche, en possède une certaine connaissance. Mais justement rien qu’une certaine connaissance, et cette connaissance limitée me rend peu compétente dans le domaine de l’art concerné. Et je demande pardon dès lors aux vrais artistes d’usurper ce titre
L'art contemporain et moi (récit d'une visite au Mudam)
Dans l'Assomoir, Zola, racontant la visite oh combien mémorable, du Louvre par les invités de la noce de Gervaise et Coupeau, écrit "Des siècles d'art passaient devant leur ignorance ahurie". A vrai dire, j'ai fait preuve aussi d' une ignorance ahurie en visitant un musée, voici quelques années. Il s'agissait du MUDAM (le musée d'art moderne de la ville de Luxembourg).
En entrant dans le musée, je suis intriguée par la présence de maisonnettes aux couleurs vives, ces couleurs que l'on utilise justement pour les jeux des enfants en bas âge. La matière de ces petites cabanes évoquait aussi les matières plastiques ou les pâtes à modeler pour classes de maternelles. "Tu as vu, dis-je alors à mon mari, ils ont créé un coin pour les enfants !" Cette réflexion a fait se retourner sur moi les quelques personnes qui circulaient autour des dites maisonnettes et mon mari me montre alors en riant sur le feuillet que nous avions reçu à l l'entrée qu'il s'agissait de sculptures ! Rouge de confusion, je quitte le hall pour passer dans une salle voisine, où l'on pouvait admirer des collages ... franchement, ils ne me donnent pas envie de m'attarder. Nous continuons donc notre visite. En entrant dans une salle, je fais remarquer à mon mari des morceaux de verres éparpillés au pied du mur sur la moquette ... "On aurait pu faire le ménage !" Soupir amusé de mon mari : "Ces débris de verre, me dit-il, font partie de l'oeuvre exposée au mur, intitulée "L'enseigne cassée"" Effectivement, sur le mur on peut admirer une enseigne au néon cassée ! Nous éclatons de rire ! Il est heureux que je ne sois pas la technicienne de surface du musée car j'aurais sûrement balayé le verre éparpillé ... Dans la pièce suivante, les murs sont nus ... car en fait l'oeuvre est posée à même le sol : le visiteur circule au milieu d'une installation de boules de verre illuminées... je trouve l'effet assez joli. Nous poursuivons notre visite et entrons dans une petite pièce plongée dans la pénombre dans laquelle un projecteur à diapositives projette en boucle sur un mur des figures lumineuses géométriques blanches : rond, carré, triangle, losange et dans un coin une pile de coussins. Je me pose encore toujours la question de savoir si ces coussins pouvaient servir aux visiteurs qui voudraient contempler la projection ou s'ils faisaient partie intégrante de l'oeuvre d'art ? J'ai eu envie de m'y asseoir pour voir si un gardien allait surgir pour m'expulser ... je n'ai pas osé. Peut-être d'ailleurs que si je m'y étais assise, d'autres visiteurs auraient pu me prendre moi-même pour une oeuvre d'art, comme cela arrive à la femme d'Alberto Sordi dans le film italien Le vacanze intelligente pendant qu'ils visitent la Biennale de Venise (l'épouse en visite ayant mal au pied s'est assise sur une chaise et les visiteurs ont cru qu'elle faisait partie de l'installation ... si vous ne connaissez pas ce film, allez voir la scène sur youtube, même sans traduction cette visite de la foire d'art contemporain est une pièce d'anthologie). Pour en revenir au Mudam, une pièce qui vaut le détour c'est sûrement la bibliothèque et boutique du musée avec ses décorations en bois. Et la cafetaria est très cosy et confortable ... Mais in fine la plus belle oeuvre de ce musée c'est le bâtiment qui mériterait d'être utilisé pour exposer d'autres choses que du n'importe quoi !
Bon, vous l'aurez compris, en matière d'art contemporain je suis vraiment aussi une ignare ahurie ! Et que les amateurs d'art contemporain me pardonnent !
Visite du Louvre avec Zola
J'évoquais pour mon fils (historien d'art), les réactions parfois surprenantes de certains visiteurs au cours d'expositions et il m'a renvoyée en riant au passage assez amusant de L'Assommoir où Zola décrit la visite du Louvre par les invités de la noce de Gervaise et Coupeau.
"En bas quand la noce se fut engagée dans le musée assyrien, elle eut un petit frisson" Frissonnent-ils face à la beauté des pièces exposées ? Non "Fichtre, il ne faisait pas chaud, la salle aurait fait une fameuse cave !" De toute façon les visiteurs "trouvaient tout ça très vilain" Par contre "La nudité sévère de l'escalier les rendit graves" et "Un huissier superbe (...) redoubla leur émotion. Ce fut avec respect qu'ils entrèrent dans la galerie française." Mais le respect n'a qu'un temps, le cortège suit l'enfilade des salons sans s'arrêter, il y a trop de tableaux ... qui ne suscitent l'admiration que parce que "Il devait y en avoir pour de l'argent. " Le radeau de la méduse suscite le sentiment général que "c'était tapé". La visite se poursuit et à nouveau, l'environnement les émeut plus que les toiles : "Dans la galerie d'Apollon, le parquet surtout émerveilla la société, un parquet luisant clair comme un miroir où les pieds des banquettes se reflétaient"
Dans le salon carré, Gervaise émet un commentaire d'ordre muséologique "C'était bête de pas écrire les sujets sur les cadres" Certains s'arrêtent quand même à admirer les peintures, Coupeau devant la Joconde lui trouve une ressemblance avec une des ses tantes ... d'autres ricanent en regardant les femmes nues, ou sont saisis par la taille des cuisses d'Antiope tandis que un des couples sont béants d'admiration, "attendris et stupides devant la Vierge de Murillo". Mais l'intérêt pour les tableaux n'a qu'un temps "dans la longue galerie où sont les écoles italiennes et flamandes, (...) ce qui les intéressait le plus c'était les copistes avec leurs chevalets installés parmi le monde, peignant sans gêne" Ce cortège en visite finit d'ailleurs par devenir lui-même objet de la curiosité des autres visiteurs et des peintres au travail. Et de La kermesse de Rubens, nos protagonistes voient surtout les détails orduriers qui choquent les dames. Toutes ces attitudes contrastent avec celle de leur guide, Mr Madinier qui "parle à voix basse comme dans une église".
"Des siècles d'art passaient devant leur ignorance ahurie" écrit Zola pour exprimer le fossé qui sépare alors le peuple de la culture. Ce fossé est-il vraiment comblé ?
L'art pour se soigner ?
« Le signe pictural a ceci de particulier qu’il invente, alors que la parole retrouve. Le Signe, dans sa particularité, attend de l’autre qu’il lui donne sens. Pas la Parole, qui a déjà ses références. Pour le peintre, le retard de la réponse peut, à force de solitude, le conduire au désespoir, à la folie ou au suicide. Voyez Van Gogh ou de Staël. Plus le peintre est original, plus il est seul. J’ai, pour ma part, repéré très tôt le danger de cette solitude. Aussi ai‐je fait une analyse pour ne pas demeurer seulement peintre. Je n’aurais pas eu la force d’avancer sur ce seul chemin. Peindre ne vous sauve pas de vous-même. La parole de l’analyste vous désigne, elle, qui vous êtes. » Paul Lemoine, peintre et psychanalyste