Trop de sel dans nos assiettes …
Trop de sel dans nos assiettes …
Elide Montesi, publié dans le magazine Equilibre
Le sel appartient à notre culture alimentaire depuis l’aube de l’humanité. Il a en effet été le tout premier moyen de conserver les aliments : la saumure, en diminuant le taux d’humidité des aliments, empêchait la prolifération bactérienne à l’origine de leur putréfaction. Le commerce du sel a aussi joué un rôle non négligeable dans l’histoire de l’humanité, rôle qui se répercute encore dans notre langage. En témoigne le mot salaire, qui désignait à l’origine la somme donnée aux soldats romains pour pouvoir se procurer leur sel, et nombreuses sont encore les expressions utilisant le mot sel qui démontrent son importance : mettre son grain de sel, une facture ou une blague salée…
Super goûteurs
Outre ses propriétés de conservant naturel, le sel augmente la sapidité de la nourriture. Avec le sucré, l’acide et l’amer, le salé fait partie des quatre – cinq si l’on envisage l’umami ou perception du glutamate- sensations gustatives de base que notre langue est en mesure de capter. Mais notre penchant pour le salé varie selon les habitudes socioculturelles mais aussi une prédisposition génétique influençant notre manière de ressentir plus ou moins intensément le goût des aliments – et donc le salé – de la même manière que nous ne percevons pas tous de la même manière les odeurs ou les saveurs. Les « super goûteurs » consommeraient plus de sel pour masquer l’amertume d'autres aliments qu’ils perçoivent de manière plus marquée et désagréable tandis qu’à l’autre extrémité de l’échelle de perception, les « non-goûteurs » auraient tendance à jouer de la salière pour tenter d'accroître la saveur des plats.
Omniprésent et indispensable
Le sel, présent en quantité variable dans tous les aliments, est absolument nécessaire à notre organisme, et à la vie en général. Le sel est l’association d’ions sodium Na+ et chlorure Cl- :le goût caractéristique du sel est le résultat de cette association et non du sodium seul. L'ion sodium Na+ est essentiel pour le fonctionnement du corps humain. Sa concentration correcte dans les liquides corporels (3.2 g/litre) assure l’hydratation normale de l’organisme en maintenant un volume liquidien adéquat (du taux de sel dépend en effet l’importance de l’appel d’eau). Le sodium est également indispensable au fonctionnement des cellules dites excitables que sont les cellules nerveuses et les cellules musculaires : ce sont les échanges (instantanés!) de sodium et de potassium à travers les membranes cellulaires qui génèrent les influx électriques responsables de leur action.
Pourtant de plus en plus de voix en santé publique s’élèvent pour recommander de limiter le sel dans notre alimentation. Pour l’OMS, les apports journaliers en sel ne devraient pas dépasser 5 g; or, dans nos régions, la ration quotidienne de cette substance s’élève à 7 g par jour chez 70% des gens voire même à 11g par jour pour 10% d'entre nous.
Une régulation stricte
La stabilité de la quantité de sodium de l’organisme repose sur l’équilibre entre son apport alimentaire et son élimination par les reins. Si le sodium fourni par l’alimentation augmente, le rein en augmente son élimination dans les mêmes proportions et en quelques jours, la situation se normalise. L’augmentation du sodium dans le sang stimule le système hormonal rénal (rénine-angiotensine-aldostérone) responsable de l’équilibre hydrosodé. Sous l’influence de ce mécanisme hormonal, face à un excès de sel, le rein diminue la quantité d'urine produite (dans le "but" de diluer cet excès de sel). Cette rétention d’eau entraîne une augmentation transitoire du volume sanguin ce qui conduit à une élévation transitoire de la pression artérielle. Cette variation de pression artérielle va à son tour corriger le volume sanguin en favorisant l’élimination du sodium en excès, avec pour conséquence un retour de la pression artérielle à sa valeur de base. Chez un individu sain, de faibles élévations de pression suffisent à corriger de grandes variations du taux de sodium. Toutefois, on peut imaginer que des excès continus de sodium, en stimulant de manière quasi permanente les mécanismes régulateurs rénaux, provoquent une élévation régulière de la pression artérielle avec à la clef le risque de développer une véritable hypertension artérielle responsable de complications cardiaques, cérébrales ou rénales...
De nombreuses études expérimentales et épidémiologiques tendent à démontrer que l’excès de sel dans l’alimentation augmente effectivement le taux d’hypertension artérielle dans la population. Dans le même sens, on a pu montrer un abaissement des chiffres de la pression artérielle chez des hypertendus s'ils réduisent leur consommation de sel. Chez les personnes dont la tension est normale, la restriction en sel ne diminue que peu la pression artérielle, mais induirait pourtant une diminution du risque cardiovasculaire à long terme.
Le régime pauvre en sel a été longtemps le seul traitement de l’hypertension avant le développement de tous les traitements actuellement disponibles pour traiter l’hypertension.
Pas tous égaux
Mais nous ne sommes pas tous égaux devant le sodium … La réponse de la pression artérielle à un régime riche ou pauvre en sel est en effet variable selon les individus à tel point que l’on peut parler de « sensibilité au sel ». Plus un individu est sensible au sel et plus sa pression artérielle s’élèvera s'il augmente sa consommation de sel. Et donc, plus une personne est sensible au sel, plus elle va tirer de bénéfices en ne jouant plus avec la salière! On constate d'ailleurs que la sensibilité au sel est associée à d’autres facteurs de risque cardiovasculaire et à un taux plus élevé de mortalité. En effet, les apports excessifs de sodium n’influencent pas le seul volume sanguin mais entraînent des altérations du muscle cardiaque et de la paroi des artères …
Aucun élément, à l’heure actuelle, ne permet d’affirmer avec précision qui est sensible au sel et qui va donc réellement bénéficier d’une éventuelle diminution de l’apport en sel. Cette sensibilité varie de surcroît en fonction de différentes situations (grossesse, médicaments, maladies, âge …) mais elle semble en général plus marquée chez les personnes à peau noire, les obèses, et… les hypertendus ! A défaut de savoir dépister la sensibilité au sel, il semble raisonnable de réduire systématiquement les apports sodés.
Toutefois, la prudence s’impose avant d’instaurer un régime pauvre en sel chez les personnes âgées . Chez ces dernières, une nourriture plus insipide peut restreindre leur plaisir de manger et diminuer leur appétit au risque de provoquer un état de dénutrition dont les conséquences sont plus graves à un âge avancé que celles d’un excès de sel éventuel.
Chez les enfants, les apports de sel ne devraient pas dépasser 3 g par jour entre 4 et 6 ans, et 5 g par jour entre 7 et 10 ans. Les nouveaux- nés n’ont aucune réaction particulière quand ils goûtent du sel alors qu’ils sourient au sucré et grimacent à l’amer. Cette indifférence pour le goût salé ou non des aliments est une bonne raison pour ne pas créer chez l’enfant l’habitude de consommer une nourriture trop salée, habitude dont il est si difficile de se défaire une fois installée.
Supprimer la salière de la table est donc un premier pas, essentiel. Eviter ou limiter le sel « caché » en est un autre tout aussi nécessaire. La balle est cependant dans le camp de l’industrie agroalimentaire car dans une alimentation quotidienne classique, les plus grands pourvoyeurs en sel sont le pain et les aliments préparés industriellement : charcuteries surtout fumées, aliments en saumure, conserves, potages lyophilisés, chips…
La guerre du sel est loin d’être gagnée, mais s’il reste encore du chemin à parcourir, les pressions exercées par les associations de consommateurs n’ont pas été vaines : la tendance actuelle semble aller vers une diminution de la teneur en sodium dans les plats préparés. Mais la lecture des étiquettes reste une démarche encore très utile pour savoir quelle dose de sodium nous absorbons avec le « prêt-à-manger ». A ce propos rappelons que le chiffre sur l’étiquette renseignant la quantité de sodium par portion doit être multiplié par 2.5 pour avoir celle de sel.
Le sel, au goût finalement si prévisible, est loin d’être le seul condiment susceptible d’agrémenter le contenu de nos assiettes : la gamme de saveurs multiples offerte par de nombreuses herbes aromatiques est tout aussi capable de surprendre nos papilles gustatives … et de rendre la nourriture tout aussi agréable en salant moins.
Le sel naturel, non raffiné, est un mélange de plusieurs oligo-éléments (chlorure de sodium, magnésium, calcium). Ce qu'on appelle fleur de sel sont les cristaux de sel récoltés à la surface des marais salants, dont la saveur change d’ailleurs en fonction des régions. La fleur de sel est donc un sel non raffiné.
Tandis que le sel de cuisine, blanc, est du sel raffiné composé à plus de 95% de chlorure de sodium (NaCl), le plus souvent au départ de sel gemme, extrait quant à lui des mines de sel.
Et l'iode?
Sel marin ou fleur de sel- quelle que soit la région dont ils proviennent- ne contiennent que peu d’iode même si ce dernier est abondant dans l’eau de mer. Lors de la cristallisation du sel, l’iode en effet s’évapore. Le « sel iodé » est du sel raffiné enrichi expressément en iode. Pour compenser l’insuffisance en apport d’iode dans nos régions, le Conseil supérieur de la Santé, recommandait en 2009 l’ajout (modéré) de sel iodé lors de la préparation du pain et a conclu depuis lors une convention- non obligatoire- en ce sens avec le secteur de la boulangerie.
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