Brouillard et ennui
Brouillard… La maison près du lac est plongée dans un silence cotonneux d’une blancheur pisseuse...
Dans la salle d’attente désertée, la télévision continue à diffuser ses émissions dans le vide. Aux dialogues d’une série policière succède la voix monotone du commentateur d’un documentaire.
Je l’entends sans l’écouter en poursuivant la lecture d’un livre au titre de circonstance pour moi qui aimerait être déjà demain : On est encore aujourd’hui de Veronique Janzyk. Une rencontre d’amateurs de livres et de salles obscures, l’amitié, la mort, les morts et la vie après les morts. Des mots qui racontent le silence de la vie quand elle n’est plus et les mots de la mort lorsqu’elle a frappé. Elle sait ce qu'écrire veut dire Véronique.
Une rumeur qui ressemble à celle de la mer ou du vent couvre par moments les voix en provenance de l’écran plat dans la salle d’attente : le conditionneur d’air envoie des vagues de chaleur comme un vent d’été incongru dans ce décor d’hiver.
La sonnerie du téléphone déchire par deux fois le silence … Quel cliché ! Et puis, entre le bruit de vague de l’air co et les commentaires monotones du documentaire, comment parler de silence ? Sonnerie qui n’annonce pas l’arrivée d’un corps souffrant, juste deux demandes de renseignements.
J’écris, j’enfile des mots, des phrases pour occuper le temps, meubler ces moments creux, utiliser ces instants inutiles.O temps suspends ton vol, demandait le poète... mais comme il est ennuyeux de rester suspendu sur le fil du temps lorsqu'on ne peut rêver au bord du lac, noyé dans le brouillard et la nuit.
J’écris entre les lignes froides d’un univers impersonnel qui recueille régulièrement des fragments de récits de vie et de souffrance mais ne les retient pas. Personne ne vit entre ces murs, il n’y a pas d’âme, les confidences des âmes ne savent pas y rester.
J’écris comme on rêve dans un décor fonctionnel où rien n’incite au rêve.
J'écris pour aider à défiler un temps devenu immobile.
Le brouillard s'est fait obscurité, épaisse, laiteuse qui colle à la peau. J'ai envie de relire Verhaeren : il fait novembre en mon âme. Et défilent en moi des bribes de poème parlant de brumes et de brouillard : les cieux faits de filasse et de pluie de Verhaeren, le paysan cagneux et son boeuf dans les brouillards d'automne de Guillaume Apollinaire, le silencieux automne de Toulet, les froides ténèbres de Baudelaire, La terre est boue et le ciel est brouillard, L'homme s'ennuie de Sully-Prud'homme
J'écris, car j'ai fini mon livre
Qui a dit que l'ennui était une vilaine bête ? Ce soir l'ennui m'a assaillie, envahie, terrassée ...
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