Le vrai rôle du médecin généraliste
L’idéal à la base de toute vocation médicale qui se respecte est de soigner les malades et surtout les guérir, la suprême ambition étant celle de sauver les vies. Même ceux qui optent pour consacrer leur vie à la recherche plutôt qu’aux patients ont pour but de guérir les malades et de sauver des vies en trouvant au fond d’une éprouvette le remède miracle. Quelqu’un connaît-il des étudiants en médecine dont l’objectif serait de réaliser des tâches administratives ? Certaines spécialités médicales comme la chirurgie semblent privilégiées en termes de guérison. Mais à nous généralistes, le travail in vivo apprend vite l’humilité. Entre les maladies qui guérissent toutes seules, celles dont on ne guérit pas et qui tuent, celles qui ne guérissent pas et avec lesquelles les patients doivent vivre, les maladies fonctionnelles dont la souffrance est bien réelle, admettons qu’on guérit peu. Et lorsque nous diagnostiquons des pathologies curables, les traitements efficaces sont rarement de notre ressort. Par ailleurs des revues comme Prescrire ou Minerva nous rappellent que bon nombre de nos interventions sont non valides. Bref, les médecins généralistes, peuvent rarement s’enorgueillir de la gloire des guérisons.
Mais la sagesse populaire ne dit-elle pas que prévenir vaut mieux que guérir ? Voilà un beau rôle pour nous généralistes : la promotion de la santé, l’éducation à la santé, la prévention … Empêcher les gens de « tomber malades », préserver cette richesse sans prix qu’est la santé nous rend à notre idéal de « sauveur de vie » en étant le premier rempart contre la maladie.
Dans ce domaine aussi, nous devons faire preuve d’humilité surtout depuis que l’OMS a défini la santé comme un état de bien être physique, mental et social : assurer ces trois conditions à chaque être humain n’est plus du ressort du médecin seul. L’histoire nous apprend que les actions politiques et sociales ont fait autant que la médecine. Une meilleure hygiène, de meilleures conditions de vie, l’accès à l’eau potable et les égouts ont aidé plus que les antibiotiques à la disparition des maladies infectieuses …. Certes les vaccins sont une des avancées préventives les plus remarquables du XXe siècle mais la volonté politique est nécessaire pour que ces vaccins soient accessibles à tous. La santé des gens dépend beaucoup plus des choix politiques et des choix de société que de nos interventions de généralistes. Par ailleurs, un bon battage médiatique et l’action d’éducateurs de santé semblent tout aussi efficaces qu’un diplôme médical pour dire aux gens qu’ils doivent manger sain, bouger plus et ne pas fumer…,
Et la prévention n’est-elle pas qu’une illusion ? Les gens survivent désormais aux épidémies infectieuses mais vieillissent en affrontant les maladies cardiovasculaires. La prévention des risques cardiovasculaires diminue la mortalité d’origine cardiovasculaire mais celle par cancer augmente. L’allongement de l’espérance de vie attendue avec la diminution de la mortalité par cancer suite aux campagnes de dépistage entraîne l’augmentation des pathologies dégénératives. En réduisant le risque d’une cause particulière de décès, on change simplement les causes de la mort.
Alors à quoi servons-nous ? Loin des prouesses techniques réalisées par nos confrères spécialistes oeuvrant dans un univers hypertechnicisé, notre rôle semble des plus modestes, occupés que nous sommes à gérer le doute et la chronicité. Nous, généralistes, sommes les spécialistes des maladies qui ne guérissent pas et dont la prise en charge se résoud à mettre en place un accompagnement adapté au vécu de chaque patient. Nous ne les guérissons pas, nous nous contentons d’en retarder l’évolution et les complications. Travail fastidieux et de longue haleine aux résultats peu spectaculaires ! Mais en cheminant modestement aux côtés de nos patients, en tenant compte de leurs choix de vie, de leurs représentations pour gérer tout ce qui les affecte au cours de leur vie, en écoutant simplement leur souffrance, nous sauvons plus que leurs vies : nous sauvegardons leur humanité. Le médecin généraliste est le seul vrai garant d’une médecine à visage humain qui dans chaque patient voit non une maladie à guérir mais un être humain à part entière. Et à ce titre, les généralistes sont indispensables à la société.
(d'après un éditorial que j'ai publié en avril 2009 dans la Revue de la médecine générale)
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