Ce que le médecin dit ... ce que le patient fait ...
Améliorer l’observance thérapeutique
Ce que dit le médecin …
Elide Montesi (paru dans le magazine Equilibre juillet 2011)
Hippocrate déjà se plaignait que « Les patients mentent souvent quand ils disent prendre leurs remèdes ». On pourrait croire que le patient qui consulte un médecin pour un problème de santé va suivre ses recommandations. Pourtant …
Si l’on en croit les chiffres d’un rapport établi par l’OMS en 2003, un malade sur deux de par le monde n’applique pas les prescriptions médicales. Ce qui amène cette institution à considérer que l'amélioration de ces chiffres constituerait un progrès plus important pour la santé que n’importe quelle découverte biomédicale .
Poser un lapin
Le terme observance désigne l'action de pratiquer une règle en matière religieuse. En médecine, on l’utilise pour parler de l’adhésion d’un patient au traitement prescrit.
Les manquements à l’observance ont de multiples formes. On pense en premier lieu bien sûr aux médicaments non pris (parfois même pas achetés), ou consommés irrégulièrement, à dose insuffisante ou au contraire excessive, ou sans respecter les conditions d’absorption, ou pris alors même qu’ils sont contre-indiqués. Mais les problèmes liés à l’observance concernent également toutes les mesures thérapeutiques comme le non-respect des conseils diététiques, de l’exercice physique ou de l’arrêt tabagique,.... Et on peut considérer aussi comme défaut d’observance, les examens jamais réalisés ou encore les rendez-vous manqués. Seulement 3 personnes sur 4 se rendent aux rendez-vous médicaux qu’elles ont pris par eux-mêmes. Et lorsque le rendez-vous a été proposé après une consultation par exemple, ou lorsqu’une personne de l’entourage l’a pris pour le patient… 4 personnes sur 5 ont tendance à poser un lapin à leur médecin!
Mais pourquoi??
Les causes de ce phénomène sont liées tout à la fois au traitement, à la maladie, au patient et au système de soins. Tout d’abord, au plus on a de médicaments à consommer, au plus l’observance du traitement est difficile. Or la plupart des maladies chroniques (diabète, hypertension artérielle, …) nécessitent d’additionner les médicaments … et le coût du traitement, autre élément limitant.
Les effets secondaires réels ou supposés, ou simplement la crainte de souffrir de ceux-ci, sont une autre explication d’une mauvaise adhésion au traitement. Les médias jouent un rôle parfois non négligeable en semant le doute quant à l’utilité ou l’innocuité de certains traitements, informations qui s’ajoutent aux croyances (familiales, culturelles…) et aux peurs sur lesquelles se fondent les représentations des maladies et des traitements.
Et puis certains vivent dans le déni de leur maladie ou cultivent le goût du risque: c'est le refrain « Il faut bien mourir de quelque chose ». Certes les médecins ne consacrent peut-être pas toujours à leurs patients le temps nécessaire pour expliquer un traitement et ses raisons. Mais si une compréhension insuffisante peut être à l’origine du problème, l’observance ne dépend cependant pas du niveau d’instruction. La preuve que connaître les conséquences et la gravité d’une maladie ne suffit pas : les médecins – pourtant censés être au courant – sont loin d’être des exemples d’observance !
L’inobservance pourrait même être paradoxalement la conséquence du progrès médical. Des maladies comme le diabète ou l’hypertension, pour ne citer que celles-là, sont traitées de plus en plus tôt alors même que le patient n’est pas demandeur, puisqu’elles ne sont pas encore symptomatiques. Les bénéfices du traitement ne sont donc pas ressentis à brève échéance, tandis que les effets secondaires, eux, se manifestent rapidement. De même, les bienfaits tardifs de l’arrêt du tabac, d’une alimentation saine sont occultés par le plaisir immédiat de fumer, de manger sans contrainte tandis que les courbatures d’une reprise du sport sont un obstacle à la pratique de l’exercice physique.
Trucs et ficelles
Suivre un traitement est une tâche répétitive qui nécessite de savoir ce que l’on doit faire et quand, mais aussi d’avoir l’intention d’exécuter cette tâche et les moyens de se rappeler qu’on doit ou qu’on l’a réalisée. De nombreux « trucs et ficelles » peuvent venir à point pour ce travail de mémoire prospective, de même que l’aide d’une tierce personne. Ainsi dans certains pays, des dispositifs d’accompagnement téléphonique existent pour les patients chroniques, rappelant via le pharmacien, une infirmière ou une structure médicale, les impératifs du traitement. Mais ce type de service, somme toute assez paternaliste, aussi efficace soit-il, ne règle pas la question de fond des raisons profondes qui motivent une personne à accepter de prendre les médicaments prescrits ou suivre des conseils d’hygiène de vie pour conserver ou améliorer sa santé.
Questions éthiques
Car l’observance thérapeutique a des répercussions bien plus distantes que la seule santé de celui qui prend ou oublie ses médicaments, ne serait-ce que le coût social des complications qui surviennent quand elle est défaillante. Mais vouloir améliorer l’observance interpelle aussi d’un point de vue philosophique et éthique.
Tout d’abord, suivre les recommandations médicales ne constitue pas une obligation : au contraire, on pourrait presque dire que la loi concernant les droits des patients les autorise à ne pas être observants. Une fois correctement informés, le choix de se soigner ou pas leur appartient, pour autant bien entendu qu’ils aient les facultés mentales et psychiques pour exercer cette autonomie.
Une relation de soin est la rencontre non pas entre les connaissances du médecin d’une part et les croyances du patient d’autre part, mais entre deux réseaux de croyances et de valeurs. Le partage de ces croyances respectives peut alors mener vers un accord qui respecte tout à la fois le principe de bienfaisance et l’autonomie de la personne qui doit se soigner. Car ce n’est pas le médecin qui soigne mais le patient qui se soigne… L’inobservance est le résultat d’un conflit entre le principe de bienfaisance – le médecin agit pour le bien du patient – et le principe d’autonomie du patient, c’est à dire sa capacité à faire des choix en fonction des compétences qu’il a acquises sur sa maladie, mais aussi de son désir et des émotions suscitées par le problème de santé avec lequel il doit vivre.
Le choix n’est pas simple entre la recherche d’un plaisir immédiat (continuer à fumer, manger n’importe quoi, ne pas prendre des comprimés) ou la récompense à plus longue échéance de guérir ou conserver la santé en acceptant certaines contraintes. Tout tourne autour de la notion de plaisir et de récompense. Se fixer des récompenses intermédiaires peut d’ailleurs constituer un objectif pour progresser.
Le désir de se soigner nécessite d’avoir de bonnes raisons d’appliquer ce principe de prévoyance et une excellente raison est le souci, ou mieux, l’amour de soi qui veut que l’on donne priorité à la vie. Changer de comportement pour se sentir mieux est l’expression d’un profond souci de soi-même. Une «conversion » durable ne s’obtient pas par une motivation extrinsèque (peur des conséquences « le tabac nuit à la santé », ou pour faire plaisir au médecin dans une conception paternaliste de la relation de soins) mais par une motivation intrinsèque : se faire plaisir à soi-même est le meilleur moteur qui soit. Tout le monde ne souhaite pas exercer cette autonomie mais là aussi, il s’agit encore d’un choix : s’en remettre à l’autorité du médecin plutôt qu’à soi-même, ça ne dépend que de soi.
Améliorer l’observance serait donc un énorme progrès non seulement du point de vue de la santé mais aussi du point de vue du développement autonome de la personne qui comprend que tout ne dépend que d’elle… On ne se soigne correctement que lorsqu’on est bien dans sa peau et dans sa tête. Vaste programme qui va plus loin que l’éducation à la santé !
L’inobservance thérapeutique en chiffres
De façon générale on estime que 40 à 70% des gens ne prennent pas leur traitement antidépresseur ou qu'un bon tiers des asthmatiques néglige son traitement et que le taux d’observance du traitement du SIDA varie de 37 à 83%.
Aux Etats Unis, seuls 51% des patients suivent le traitement prescrit pour leur hypertension artérielle.
Près d’un greffé rénal sur 5 ne prendrait pas correctement ses immunosuppresseurs avec pour conséquences rejet de greffe et décès.
Seuls 7 % des diabétiques suivent correctement toutes les recommandations thérapeutiques (médicament, autosurveillance, régime, exercice physique)
L’inobservance, toute cause confondue est cause de 10% des hospitalisations, d’une mortalité accrue et d’un coût social énorme puisqu’il a été évalué à 100 milliards de $ par an aux Etats Unis …
A découvrir aussi
- Des maladies à la demande?
- Réflexion d'une ancienne fumeuse
- Echec des régimes amincissants Quand le corps résiste
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 55 autres membres